Protocole-S

Le projet Protocole-S, 2016/18, interroge le rapport langage amoureux – corps amoureux. Le désir est ausculté, de manière frontale, crue, brute, mais aussi poétique, philosophique, esthétique. Le stéréotype questionne le fantasme, le modifie, le travestit, du virtuel connecté à un réel blafard. Aujourd’hui où la relation à l’autre, à l’amoureux, débute souvent par le biais du monde virtuel, via les sites de rencontre, les réseaux sociaux, Protocole-S questionne ce rapport à l’autre, ce désir de l’autre et à son image, du langage amoureux à l’image du corps.
Protocole-S est conçu au départ dans une multiplicité de médiums et de séquences. Cette diversité est augmentée. Le projet a considérablement évolué. (Consultation du dossier sur demande auprès d’Enna Chaton.)

Protocoles d’image
– sexe masculin et objets transitionnels : organiques, minéraux, manufacturés…
– sexe masculin et toucher féminin
– partage de nudité avec les participants ( atelier, extérieurs, performances )
– premier filmage et observation subjective sur la transformation transgenre de Stéphane en Claire ( vidéo, photographie )
– création de personnages sur internet, écriture d’un scénario partagé, filmage
– définition du personnage de Rosalie, incarnation de Sophie en Rosalie ( vidéo )

Protocoles de dessin
à deux et quatre mains alternées
– un mot entraîne un dessin, un trait de pinceau, un collage, etc.
– un mot déclenche un collage ou un dessin de l’un-e, complété par l’autre
– une forme entraîne une reprise superposée à l’aveugle
– croquis champs / contrechamp, détails anatomiques
– des croquis augmentés de couches mobiles de couleurs
– des photographies augmentées de couches mobiles de couleurs

Protocoles d’écriture
– portraits croisés, un mot commenté appelle une réponse
– abécédaire, un mot partagé appelle une définition
– vocabulaire du membre, recensement
– chansons ( enregistrement )
– échanges internet / création d’un personnage, Rosalie
– échanges internet avec les hommes de Rosalie
– échanges courriels avec Philippe : la pratique de la discussion
– les accessoires utilisés pour les prises de vues déclenchent des motifs d’écriture

Protocoles d’édition
– séquences photos et textes : projet de petites publications autonomes
– exploration de formes : leporello, plis croisés, enroulement, livrets

Protocoles de prise de son
– captation de sons dans la nature : marche, pierres entrechoquées, souffle, etc.
– enregistrement de textes lus par Enna et par Philippe ( litanie, abécédaire, chansons )

Étape 1 : naissance de Rosalie
Rosalie, personnage central, femme en quête d’un homme, a existé réellement via les réseaux sociaux. Elle a échangé avec divers hommes, récolté une matière textuelle, tenté d’analyser le rapport à l’image et aux mots sur les sites de rencontre,puis dans la vie réelle. Je relate cette expérience dans le texte : Un homme pour elle. La transcription des conversations témoigne d’un état des désirs, des fantasmes, des projections d’êtres sensibles et perdus.

Étape 2 : tournages avec Sophie, comédienne
Je filme Rosalie, dès lors incarnée par Sophie, sous divers plans : Rosalie, le quotidien d’une femme ordinaire, Rosalie, fantasme dans la maison paysage, Rosalie dans la nature, femme animal.

Étape 3 : Stéphane/Claire
Relation particulière avec Stéphane, devenu Claire. Collaboration intense. Je suis témoin de son intimité, de sa sexualité. Je l’observe derrière ma caméra, j’enregistre sa voix, son témoignage. Arrêt brutal de l’échange provoqué par son décès. 

Étape 4 : rencontre avec Philippe et Louis
Cette séquence est nouvelle. Rosalie s’efface peu à peu pour laisser place à des échanges réguliers avec deux hommes : Philippe et Louis. De cette collaboration, de recherches multiples, le projet s’enrichit, se transforme. Un protocole – minuscule de Protocole-S – s’installe. Toucher le sexe de l’homme devant l’appareil photo, s’en saisir pleinement, sans que l’homme saisisse celui de la femme, sans même qu’il la touche, ou si peu. Expérience radicale – sur le fil du désir, de la pulsion sexuelle – qui ébranle les corps, envahit l’imaginaire, impérieuse et jouissive prise de pouvoir. Et puis, avec le refoulement du désir imposé au masculin, s’impose rapidement celui du protocole au féminin, intenable pour moi.

Étape 5 : mutation du projet 
Le travail se prolonge cependant, en complicité et confiance. Il se transforme, affirme sa transversalité, sa complexité. Comment maintenir sa radicalité ? Textes, volumes construits, sons, photographies en atelier, éditions, dessins, chansons, vont augmenter le projet. 

Étape 6 : édition
Tant d’images réalisées au cours de ces derniers mois et les nombreux textes écrits par Philippe et Louis sont une matière qui donne envie de les publier de façon expérimentale. L’impératif de l’édition devient une évidence. Chaque série de photographies se lie avec des mots, avec une mise en page pensée pour eux par Philippe. À distance, je fais un choix d’images, Philippe m’envoie régulièrement des propositions visuelles. C’est beau. Douze publications pour un tirage limité.

Étape 7 : abécédaire
Nouveau travail à deux. Je propose une liste de mots à Louis : un abécédaire. La réflexion est personnelle, elle éclaire la recherche et les orientations du projet Protocole-S. Les mots pourraient être ceux que Rosalie aurait aimé partager avec les hommes rencontrés sur les sites. Bien qu’elle s’estompe du projet, Rosalie continue à vouloir se révéler. Elle cherche à affiner les contours d’elle même. En miroir, Louis répond à ces définitions. Nous convenons de nous envoyer les textes par internet au même moment, pour des lectures simultanées à distance. J’enregistre mon abécédaire pour intégrer ces textes à une performance :  « 181 états d’un sexe masculin ». 

Étape 8 : vocabulaire
Philippe m’envoie une liste de mots : un vocabulaire du membre. C’est riche et drôle. Ces mots servent de point de départ à un travail de dessin, tout d’abord au feutre noir, un trait fin, continu, puis au crayon à papier sur un carnet de croquis. Assez rapidement, l’insatisfaction me fait arrêter ce projet. J’en parle à Philippe et lui montre le carnet. Il me propose de définir plusieurs protocoles de dessin, d’expérimenter d’autres outils libérant le geste.

Étape 9 : une résidence
La communication à distance a ses limites. La progression de nos projets est ralentie, je n’arrive pas à répondre aux attentes multiples de Philippe ; de nombreux mails restent sans réponse de ma part. La nécessité d’une résidence partagée s’impose. Un temps concentré sur le travail et la recherche à deux. Philippe trouve un lieu, nous convenons d’une date. Commence alors une nouvelle aventure artistique où nous testons librement  divers mediums ( dessins, collages, sons, emprunts, archives…).

Étape 10 : chansons
Ces paroles s’adressent aux hommes. Une confidence franche, coquine, légère, des sentiments d’amour, des gestes du sexe, des désirs féminins. Je m’entraîne à chanter ces mots à voix nue, à trouver leur mélodie et j’explore la création d’un groupe avec des musiciens ( guitare, basse ) dans la perspective de faire un concert / performance en 2019.