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Chaque fois que l'on se lève...
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L'Abécédaire
Chansons pour le désir
Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a acheté la veille
Pensé comme une série télévisée, le travail s’organise et se développe en saisons, elles-même déclinées en épisode. A ce jour il existe trois saisons, et sept épisodes. Ce travail se poursuit, il se construit dans le temps en fonction de déplacements, de résidences, de projets précis. Il n’y a pas d’histoire, aucun personnage, aucun héros, aucun scénario pour « tenir le public en haleine », chaque film est autonome, semblable et différent, chaque épisode est quelque part en réponse au précédent.
« Dans la première saison émerge quelque chose dont la forme évoque celle d’une histoire amoureuse: il y a d’abord le premier rendez-vous donné dans des appartements, des lieux privés où Enna Chaton s’immisçe, émue, pour les filmer. Puis il y a la seconde saison, cette autre durée où elle se fond aux objets de ses images: des choses toujours, mais aussi des gestes, des durées intimes, des bruits et des bribes d’histoires saisis à même des couloirs ou des couvres-lits. En troisième saison, elle poursuit cela mais d’une manière toute distincte: elle ne s’accole plus seulement à des objets mais aussi à des voix, à des bouches, à des mains puis à des yeux dont elle écoute le déroulé singulier des souvenirs et des récits. Pour autant, elle ne les conserve ni ne les restitue tels quels dans ce film, son amour n’est pas archiviste. Non, elle défait un peu ces récits comme on défait un pull-over de laine : de nombreuses pelotes de phrases sont entre ses mains et elle les re-tisse autrement, pour en faire une nouvelle chose – une robe ou une belle pelisse. Ainsi on entend et on touche à un textile singulier, d’une douceur très rugueuse: il tresse ensemble des particules d’histoires à des grains de voix, de peaux mais aussi à des fleurs, des arbres et des champs. Tout cela se mêle et demeure différent. C’est étrange. Et nul doute que cette étrangeté signe la troisième saison de l’amour qu’a Enna Chaton pour les personnes, pour tout ce qui se trouve en elles d’extrêmement singulier – un singulier qui a lieu entre les murs d’une chambre, dans la couleur d’un petit objet sur une table de nuit, et aussi dans une langue qui chuchote l’histoire d’un corps exposée à-même ses mots et sa voix. » Stéphanie Eligert
Extrait de « Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a acheté la veille » – saison 3 épisode 1er
STÉPHANIE ÉLIGERT
À propos de Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille. 2003.
Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille
Série commencée en 2002. Pensé comme une série télévisée, le travail s’organise et se développe en saisons, elles-même déclinées en épisode. A ce jour il existe 3 saisons, et 7 épisodes. Ce travail se poursuit, il se construit dans le temps en fonction de déplacements, de résidences, de projets précis. Il n’y a pas d’histoire, aucun personnage, aucun héros, aucun scénario pour « tenir le public en haleine », chaque film est autonome, semblable et différent, chaque épisode est quelque part en réponse au précédent.
Saison 1
– Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille, DVD, 26’ couleur, sonore, co-production Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, avril 2002.
Un premier regard, posé sur cette pièce vidéographique d’Enna Chaton pourrait en déduire qu’on est là face à une forme documentaire : des plans particuliers d’appartements, dont on devine qu’ils sont ceux d’une classe plus ou moins moyenne, ne cessent de défiler, de se compléter. Ce film produit, dirait-on, une sorte de sociologie plastique : les images de lieux privés, et celles des objets qui les meublent, s’accumuleraient, dans cette pièce, pour donner à comprendre ce qu’il en est des intérieurs français. Quelque chose, pourtant, enraye cette déduction du “premier regard”: du noir. De nombreux écrans noirs interrompent le film, ou le délient. Et le noir, dit l’artiste, c’est de la matière. Ce n’est donc ni du sens ni du concept : c’est une matière, les autres images, celles où des choses sont visibles, le sont aussi et elles le sont comme une autre matière frottée à la matière noire. Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille est donc une pièce pleine de matières à toucher.
Qu’est-ce qu’Enna Chaton touche ? Des plis d’appartements où les corps circulent, des plis où ceux-ci ont à s’arranger avec les objets. Et c’est cela qu’elle désire caresser : une matière arrangée entre les choses et les corps qui en usent, un interstice sensuel où l’un et l’autre se frottent. Aussi récupère-t-elle tous ces interstices et les monte-t-elle en un singulier travelling, lui-même tout en frottement. Ce film forme alors une délicate et complexe étoffe de sensualités domestiques: Enna Chaton y use du montage comme d’une confection et des images comme d’une matière soyeuse. Elle tisse ainsi son film comme Marcel Proust dit écrire les volumes de La recherche : une manière de robe.
L’étoffe de ces images se confine, ici, en installation. Et ce verbe, confiner, demande à être saisi dans sa pleine énergie sensuelle, celle libérée pas les sonorités de ses syllabes : confiner. Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille est une pièce confinée dans cette exposition. Elle en est même son boudoir : le canapé de velours gris-perle et, en face de lui, ce téléviseur en feutrent les moelleux replis. Cette installation incite alors à vivre la délicate jouissance propre au boudoir : une caresse entre des regards, de beaux objets et quelques corps.
Saison 2
– Texte écrit à l’occasion de l’exposition “…Confiture demain et confiture hier – mais jamais confiture aujourd’hui…”, Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, Sète, publié dans le catalogue de l’exposition “Ce que nous voyons comme si nous le voyions”.
– Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille saison 2, épisode second, Dvd 26’, couleur, sonore, Rencontres photographiques, association Image/imatge, co-production association fiacoise d’initiatives artistiques contemporaines, Orthez, octobre – novembre 2002.
La seconde saison de Chaque fois qu’on se lève… n’est plus tout à fait à l’image de la première, et cela parce qu’une autre chose s’est immiscée en elle qui déplace ses plans vers une sensibilité vidéographique plus avant. De cette première saison, on se souvient de la caméra d’Enna Chaton découvrant des appartements, des pièces où des corps se reposent et où elle pouvait librement aller voir les replis; c’est à dire qu’on sentait le grain de sa surprise modeler ses images: elle touchait à une nouvelle intimité et celle-ci la touchait. Ce premier film, alors, était un peu ce plaisir pris à un premier rendez-vous. Maintenant, les choses se sont approfondies : on sent que du temps a coulé entre la première et la seconde saison de Chaque fois qu’on se lève…en ce qu’Enna Chaton n’y déploie plus ce singulier de la « première fois » et qu’elle semble s’être fondue à ce qu’elle filme – des personnes chez elles. Ainsi entend-on souvent leurs gestes qui continuent leurs choses pendant qu’elle est là, filmant leurs alentours : ce bruissement n’était pas audible lors de la première saison, parce qu’aussi émus qu’elle ne l’était, ces gens devaient, pour l’accueillir, cesser un peu leurs affaires. Maintenant, Enna Chaton ne discontinue plus cela. Même inconnues, elle s’absente dans le pli de ces vies et froisse l’image de leurs choses comme elles-mêmes le font. Son film s’ouvre alors comme une fleur le fait, aussi complexe et aussi simple : le ciel est un peu pluvieux, il s’éclaircit, des chiens se promènent, les minutes s’étendent ou rétrécissent, des corps sont là qui mangent, s’en vont, des bruits frôlent le cadre, et s’en espacent, etc. Et tout cela en vient à faire affleurer d’infimes histoires en tous les lieux de l’image; des histoires qu’Enna Chaton a petit à petit soulevées du bord d’une table, du fond lumineux des chambres, d’un bout de couvre-lit, ou d’entre les choses du temps.
Saison 3
– Chaque fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille, saison 3, épisode premier, Dvd, 10’, couleur, sonore, co-production Association fiacoise d’initiatives artistiques contemporaines Fiac; Association image/imatge, Orthez, 2002
C’est la troisième saison de Chaque Fois qu’on se lève on regarde les objets qu’on a achetés la veille. On se souvient qu’avec la seconde saison, comme lors de la première, émergeait quelque chose dont la forme évoquait celle d’une histoire amoureuse : il y eut d’abord le premier rendez-vous donné à des appartements, à des lieux privés où Enna Chaton s’immisçait, émue, pour les filmer ; puis il y eut cette autre durée où elle se fondait aux objets de ses images : des choses toujours, mais aussi des gestes, des durées intimes, des bruits et des bribes d’histoires saisis à même des couloirs ou des couvres-lits. Ici, elle poursuit cela mais d’une manière toute distincte : elle ne s’accole plus seulement à des objets mais aussi à des voix, à des bouches, à des mains puis à des yeux dont elle écoute le déroulé singulier des souvenirs et des récits. Pour autant, elle ne les conserve ni ne les restitue tels quels dans ce film, son amour n’est pas archiviste. Non, elle défait un peu ces récits comme on défait un pull-over de laine : de nombreuses pelotes de phrases sont entre ses mains et elle les re-tisse autrement, pour en faire une nouvelle chose – une robe ou une belle pelisse. Ainsi on entend et on touche à un textile singulier, d’une douceur très rugueuse : il tresse ensemble des particules d’histoires à des grains de voix, de peaux mais aussi à des fleurs, des arbres et des champs. Tout cela se mêle et demeure différent. C’est étrange. Et nul doute que cette étrangeté signe la troisième saison de l’amour qu’a Enna Chaton pour les personnes, pour tout ce qui se trouve en elles d’extrêmement singulier – un singulier qui a lieu entre les murs d’une chambre, dans la couleur d’un petit objet sur une table de nuit, et aussi dans une langue qui chuchote l’histoire d’un corps exposée à-même ses mots et sa voix.