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Tournage du film errances#5 dans l’exposition fluides de Céleste Boursier-Mougenot à la Hab Galerie, Nantes 2018. Photographies Philippe Bissières.
Marion Le Guenic, novembre 2018 pour le magazine Gang de Biches.
Le rapport à la nudité est très complexe et personnel, il varie en fonction de l’éducation, de l’histoire, du caractère et aussi des images auxquelles on se confrontent au cours de notre vie. Evidemment, ce rapport évolue, se construit en étant questionné par nos expériences et souvent, il voit de grandes étapes le bousculer. Parfois sans qu’on les contrôle et parfois en les provoquant : c’est le cas de Marion, qui a récemment choisi de se mettre à nu, littéralement.
Grande pudique toute ma jeunesse, j’étais du genre à ne jamais me montrer nue devant mes copines ou à trouver des subterfuges bancales pour éviter les sorties plage. Pourtant depuis environ un an, j’essaye de comprendre d’où viennent mes blocages pour tenter de moins faire la tête à ma petite enveloppe corporelle qui mérite bien mieux que toutes ces angoisses. Alors, évidemment, je ne prétends pas retrouver l’insouciance de la toute petite enfance les fesses à l’air sur la plage, mais au moins de faire tomber quelques barrières pour m’alléger le coeur et l’esprit. Mais comment faire changer des réflexes de pensée que l’on porte depuis des années ? Et bien, en choisissant de se bousculer un peu.
C’est pourquoi en septembre dernier je me suis retrouvée à passer une journée entièrement nue avec 25 inconnu.e.s entre 19 et 70 ans. Une sacrée bousculade qui a commencé par une petite annonce : « Enna Chaton, vidéaste et artiste plasticienne, cherche des figurants de tous âges pour être filmés à déambuler nus dans une exposition à Nantes. » Je me renseigne sur le travail de l’artiste, je visionne des extraits de ses projets filmés avec attention. Son travail m’intrigue et me questionne. Est-ce que je serai « cap » moi ? Le coup de tête : j’écris un mail rapide et j’envoie ma candidature, presque en détournant les yeux. Elle est validée quelques jours plus tard : bon, maintenant c’est fait !
Du coup, je commence à cogiter et j’en parle autour de moi. Les réactions à l’annonce de ma participation sont mitigées et pas toutes rassurantes : « Mais genre, toute nue toute nue ? », « C’est payé j’espère ! », « Et si tu tombes sur quelqu’un que tu connais ? », « Mais tu vas faire quoi exactement ? », « Tu penses qu’il y aura des beaux mecs ? »…
L’incompréhension de certains, la curiosité des autres et moi, qui oscille entre la détermination de mon choix, l’impatience et le bon gros flippe du challenge. Les jours précédents le tournage, quand je croise mon reflet nu dans le miroir, je me surprends à me regarder un peu plus en détails que d’habitude, à m’étudier bouger, comme pour anticiper l’expérience.
Jour J. Finalement, je suis moins stressée que ce que je pensais. En fait, j’ai hâte ! J’arrive sur le lieu de l’exposition, accueillie par les figurants qui avaient déjà participé au tournage la journée précédente : « Tu vas voir, le groupe est génial, ça va être une super journée. » Le coeur qui bat un peu fort avant le moment fatidique du premier tombé de culotte et nous voilà enfin à nu. Avec chacun nos tailles, nos couleurs, nos âges, nos formes, mais tous ensemble. On avait toutes et tous nos raisons d’être là : pour faire un pas de côté de sa vie
carrée, pour le plaisir d’être nu, pour sortir de sa zone de confort, pour se montrer sans artifices, pour l’admiration de la démarche artistique… Mais le résultat était là : on a passé sept heures, nus les uns avec les autres, à marcher, à poser, à déambuler dans les différentes parties de l’exposition, à travers la caméra d’Enna, nue elle aussi. Plus les heures passaient et plus je perdais le réflexe de me rhabiller pendant les pauses ou de me couvrir avec mes bras, je devenais plus libre de mes mouvements. Le sentiment de bienveillance entre nous était si palpable qu’aucun malaise n’est venu polluer ce moment.
On voit les corps, mais pas le sien, alors on l’oublie, on ne se regarde pas, on ne pense pas à ce pli, à cette tâche, à cette rougeur, comme délestés des soucis esthétiques. Dire qu’on ne se regarde pas entre nous serait mentir, bien sûr, la première phase est découvrir les autres, mais on ne s’attarde pas. Aucune sexualisation ni jugement n’est émis sur le corps de chacun, ce qui nous a fait vivre un moment presque hors de la réalité, imprégné d’un énorme sentiment de liberté. Une intimité partagée avec un groupe d’inconnu.e.s, que je trouverai difficile à quitter à la fin de la journée, tellement l’expérience partagée était étonnante. Après cette bousculade personnelle, je me coucherai ce soir-là avec l’émotion si
précieuse d’être fière de moi.
Résidence, Beaumont-en-diois, 2018
Projet d’édition, Sète 2017
Enna photographiante, l’atelier, Sète 2017
Performance En avant, École des Beaux Arts de Carcassonne, 2014
Chez Paola, avec Chantal, Enna, Alice, Sète 2006
Paroles d’Enna Chaton pour l’émission Mensomadaire, Canal + octobre 2011 – 4’55 »
Propos partagés en atelier
Échange avec les participants aux Offrandes de sexe masculin
L. / mars 2019. Non, elle est pas tellement portée sur la chose. Quand on fait l’amour on le fait bien, pas souvent. Des fois je vais voir ailleurs, que pour le sexe, c’est con, non ! On est ensemble depuis tellement d’années. Je l’aime, c’est la femme de ma vie, je ne pourrais vivre avec aucune autre. Si tu te mets nue, je serais en érection, si tu veux. Alors je me mets nue. Le sexe de L. bande rapidement, je m’installe en peintre et poursuis le dessin.
D. / février 2019. Avec ma femme, nous allions souvent dans des clubs libertins. Là maintenant on est en cours de divorce. Je ne sais pas. On a arrêté de faire l’amour, ça fait des mois. Le sexe à plusieurs, on regarde, on fait connaissance, c’est une expérience. Là c’est fini, je n’y vais plus, pas seul, ça se fait à deux. Je suis tombé malade et peu à peu on s’est perdu avec ma femme. J’ai dû arrêter le travail, rester immobile, je suis un rescapé. Voilà, maintenant j’ai pris 15 kilos, j’ai mal partout, c’est dur. Être ici, c’est sans doute pour essayer de me réconcilier avec mon corps. Peut-être.
V. / novembre 2018. Je me remets tout doucement, je sors à peine de dépression. Cette femme m’a fait péter les plombs, j’ai tout quitté pour elle, divorcé, vendu la maison. Je suis venu m’installer ici pour rompre les liens, me reconstruire. C’est une perverse, folle. J’ai perdu toute confiance en moi avec elle et je n’ai rien vu venir. Mes enfants sont restés avec leur mère. Ils viennent pour les vacances, ils me manquent. Je vais parfois sur les sites de rencontres car ici je suis seul.
J. / août 2018. Ah, non c’est fini. J’ai trouvé un appart et je prends mes enfants une semaine sur deux. Je suis sur des sites de rencontres. Je me fais plaisir. Les femmes aiment ça tu sais, j’adore les lécher. Ça ne te dérange pas si je regarde des images de cul sur mon tel, comme ça je banderais. Ok. Une femme fontaine à l’image déconcentre ma peinture…