Empreintes

Chez Céleste

Avec toi

Le collier de perle

Dégrafer l'espace

Figures sonores et nus féminin

Son nombre est rose

La deuxième soupe

Mesures

Trajectoires

Maisons grises

Passages

Paysages#1

L'atelier#1

L'un de l'autre

Autour, dedans, avant

En avant

I fell awkward

Rejouissons-nous

Porosité

Pour 15 corps nus

On ne se connait pas

Chaque fois que l'on se lève...

Patrick et Chantal

Propos

L'Abécédaire

Chansons pour le désir

Autour, dedans, avec, #1

Action performative, vidéo, dessin, photo, Festival des Instants vidéo, invitation de Marc Mercier et Mireille Badby, Marseille, Les grands terrains, 2010 – durée prévue 60 minutes environ. Au son en live Carole Rieussec.

Déroulé des actions et temporalités

1 – 18h30 début de la marche dans tout le lieu, déshabillage en douceur, prise de vue photos.

2 – Les participants s’immobilisent dans l’espace, projection d’une vidéo salle n°1, puis ils disparaissent, vont à l’arrière, dans les couloirs de la salle N°1 durant la projection.

3 – Défilé visages couleurs (musique) – arrêt pour prise de vue, divers endroits, pose ensemble et dans le public.

4 – Ils enlèvent le masque, prennent des pose, lecture d’un texte, début de projection.

5 – Différentes actions en même temps dans des espaces différents : haut : feuilles, escaliers, canapé, bar… à définir.

6 – Objets transitionnels, relation avec le public. Baguettes avec visionneuses.

7 – Tortue renversée – projection vidéo – posture au sol, puis ligne de fin.


Autour, dedans, avec – dessins préparatoires – Couleur visage, feuillage, circulation dans la salle, masques – gouache et crayon de papier 2010.

Autour, dedans, avec #2

Action performative, 60, vidéo, photo, dessin, festival de performances Jeter son corps dans la bataille, invitation de Maya Bösch/Grü (Transthéâtre) et Joerg Bader, Genève, Bâtiment d’art contemporain, 2011.

Enna Chaton met en scène une prise de vue en public avec un groupe de 10 à 18 personnes, bénévoles. Le public « entre » dans son atelier, dans la relation à l’autre, aux corps nus, à la temporalité photographique, à la pose… Dans le lieu, il y a des photos, des dessins, la projection d’une vidéo : « Maisons grises », des objets apportés par les participants, une horloge, des textes, des sons… Le public est libre de circuler dans tout l’espace, de rentrer dans la performance s’il le souhaite.

Autour, dedans, avec – dessins préparatoires – Batiment d’art Contemporain, festival Jeter son corps dans la bataille, 2010.

Autour, dedans, avec#2 – photographies de l’action performative – Batiment d’art Contemporain, festival Jeter son corps dans la bataille, 2010.

 

Les actions : une personne frotte son corps contre un mur, une personne tombe au sol et se redresse, une personne marche, elle va droit devant elle, se cogne au mur, revient sur ses pas et recommence avec le mur d’en face, une personne prend la posture de « la tortue renversée », dos au sol, bras et jambes tendues en l’air, elle fait mouvoir ses membres légèrement, une personne cherche un masque en carton coloré, le porte devant le visage et déambule avec, une personne s’habille et se déshabille, elle se déplace dans le lieu et recommence l’action, une personne va dans le public debout et y reste, une personne regarde les photos et les dessins accrochés aux murs, une personne en porte une autre sur les épaules, la personne assise sur les épaules de l’autre regarde avec des jumelles, ensemble elles se déplacent dans le lieu, deux personnes portent un corps, le montrent au public, la personne portée est une femme avec chaussures à talon et perruque blonde, elle est raide et allongée comme une poupée, un mannequin, une personne lit les actions à haute voix, au micro, plusieurs personnes manipulent les objets transitionnels : visionneuses diapositives à piles, visionneuses diapositives montées sur tiges en bois, flyers en papier et les adressent au public, une personne s’allonge au sol et s’immobilise un long moment, une personne reste debout et s’immobilise un long moment, une personne répète un geste abstrait jusqu’à épuisement, une personne va chercher une affiche et l’accroche au mur, plusieurs personnes exécutent des figures d’équilibriste sous les applaudissements du groupe, une personne roule en trottinette dans les salles, une personne regarde les autres en action, une personne s’assoit, écrit et dessine sur un carnet de croquis, deux personnes portent de beaux vêtements, pose fièrement avec, repartent, l’une d’elles revient nue, l’autre vêtue différemment, deux personnes discutent, marchent et tournent autour du groupe lentement, plusieurs personnes amènent les objets du quotidien, elles les disposent dans l’espace et jouent avec, deux personnes déplient des journaux au sol, sur les journaux ils déposent une cuvette remplie d’eau, une paire de ciseaux, de vieux objets ou meubles récupérés, des bandes plâtrées, une des deux personnes colle les objets au corps de la seconde avec de la bande plâtrée, lorsque le plâtre est sec, la personnes déambuler comme un corps/ sculpture … »

©Ennachaton,autour, dedans,avec, performance, Genève 2010,13

Autour, dedans, avec#2 – photographies de l’action performative – Batiment d’art Contemporain, festival Jeter son corps dans la bataille, 2010.

Film documentaire de la performance « Autour, dedans, avec #2 » dans le cadre du festival de performance « Jeter son corps dans la bataille » organisé par le théâtre Grü et Maya Bosch au Bâtiment d’Art Contemporain, Genève, novembre 2011 – durée de la performance : 60 minutes.

Xavier Girard

À propos d’Autour, dedans, avec #1, Festival Les Instants vidéo, les grands terrains, Marseille, 2010.

Les Corps déplacés

Les performances collectives d’Enna Chaton sont d’une rare simplicité : des hommes et des femmes de tous âges, nus, en pleine lumière, sont conviés par voie d’annonce dans la presse locale en divers lieux du quotidien : galerie, garage, salle de sport, chantier construction, de préférence dans les grandes ban- lieues, les terrains vagues, les lotissements pavillonnaires, etc. pour des séances de pose ( photo et vidéo ) qu’on devine de courte durée pendant lesquelles, les protagonistes seuls ou par petits groupes, groupes dont le nombre varie en fonction des capacités du lieu mais sans atteindre jamais la masse critique des figurants de Spencer Tunick ( dix huit mille à Mexico en 2007, conviés par le photographe sur la place Zocalo à battre le précédent record en une sorte de Nuremberg médiatique mondialisé ) et en présence (ou non) du public – l’artiste se mêlant nue de même aux performeurs cependant qu’elle les « guide » tout en prenant des images -, bougent ou s’immobilisent comme bon leur semble, dans les situations ordinaires de la vie, manient des accessoires ou non, fixent l’objectif, se livrent à des activités quotidiennes (marcher, s’habiller, se déshabiller, danser, faire des tas, jouer, pleurer, etc.) ou répondent aux injonctions doucement directives de l’artiste. Contrairement aux « installations » de Spencer Tunick, la nudité n’a rien ici de publicitaire. Littéralement, elle n’affiche rien. Les participants ne militent pour aucune bonne cause. Le public n’est pas venu assister à manifestations naturiste, il ne s’agit ni de prendre la défense des cyclistes ou des exclus de Secret Story, ni d’un plaidoyersécolo ni des simulacres ritualisés de l’âge Facebook et Youtube. 

Si l’on en croit Enna Chaton, la réactivité au lieu est essentielle. Les espaces en construction la séduisent particulièrement, comme si les corps déshabillés et les maisons brutes de décoffrage, les parpaings et les sols à nu réagissaient de même au futur habillage des lieux, comme si leur commune et toute temporaire nudité était placée sous le signe égal face au revêtement social qui les recouvrira bientôt pour en lisser l’épiderme, en effacer les disparités et les soustraire au regard. 

Une grande place, semble t-il, est faite à la décision de chacun. Le cadre spatio-temporel de la prise de vue est délimité bien qu’il n’y ait pas de ligne rouge et la partition écrite voire même parfois peinte et dessinée comme chez John Cage, mais l’ « orchestration » des corps laisse aux instrumentistes le loisir d’improviser. En une occasion (dans le cadre du Générateur de Gentilly en 2010) le poète sonore Anne-James Chaton est intervenu. Des discussions s’engagent. L’atmosphère est paisible. Rien de très particulier ne se passe. Rien d’autre que l’acte de présence discrète et placide des « personnes » ainsi mises en présence comme chez bien des photographes de l’école allemande. Quelques fois, ceux qui répondent à l’appel sont des adeptes – pas toujours – d’un naturisme bon enfant que l’artiste photographie dans leur intérieur. Des familles imaginaires se composent. Il fait beau, des hommes et des femmes – point d’enfants (« Présumés innocents » et les procès intentés par les ligues de la vertu aux commissaires et aux artistes sont passés par là ) -, posent devant des maisons en construction dont on imagine qu’ils les habiteront bientôt. Quelque chose d’aussi « innocent » qu’un tas de matériaux éclaire la scène. Les nus d’Enna Chaton sont photographiés en pied, les bras le long du corps, avec des gestes de statuaire. On songe en les regardant à la « sculpture sociale » de Beuys. 

Ces nus posent comme les héros anonymes de la classe moyenne, les futurs propriétaires de leur pavillon de parpaings, construits sur le même modèle, les « maisons grises » qui font un si vif contraste avec leur chair rose au soleil et les particularités morphologiques de chacun, exposées sans fausse pudeur. On s’interroge pourtant, quel naturisme qui prêche ordinairement une manière de vivre en harmonie avec la nature, s’applique ici, dans un environnement de béton, si « contre nature » ? Rien de très sensuel non plus dans cette « vénusté » collective ni de très exhibitionniste dans ces groupes où chacun semble agir comme si les autres n’existaient pas ou si peu, les uns pour les autres, pas l’aube d’une excitation, rien que de très réservé, sans la moindre emphase théâtrale ni la plus petite « branloire pérenne » chère à Montaigne. Roland Barthes, à propos de ses séjours à la campagne parlait de « quiétude insexuelle » et de « vacance des agressions ». Nous y sommes, mais un soupçon nous guette : et si à l’inverse de la douce quiétude de Barthes, dans sa maison du pays basque, par une belle journée d’été : « le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique, le café », en présence de la mère, ces corps nus parmi les spectateurs, sous le néon d’une salle municipale ou dans le chantier d’un lotissement, nous délivraient un message d’intranquillité ? Et si ces corps nus qu’expose comme jamais, inconfortablement, le béton brut ou l’éclairage industriel étaient pour l’essentiel, des corps déplacés, comme on le dit d’une population, des présences incongrues, exilées ou rejetées par le lieu de la prise de vue ? Des corps en somme transportés comme des matériaux, non pas tant mis à nu qu’abruptement transplantés dans des endroits que la nudité dénonce comme étrangers et répulsifs. Des corps sans domicile, littéralement immigrés, sans lieu propre que leur environnement dépouille de leur identité en les privant de toute protection. 

Un léger vertige nous invite alors à éprouver ce rejet, cet écart et cette froide inadéquation des lieux et des êtres humains comme une violence. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, leur nudité n’a rien d’obscène : si l’obscénité, suivant la première étymologie de l’adjectif obscenus, est « ce qui reste d’un homme quand il ne se met plus en scène » (en dehors ou devant la scène) « quand s’exhibe ce que l’on doit cacher ou éviter » les nus d’Enna Chaton n’ont rien d’impudique, de sale ou d’indécent, comme le sens du mot courant l’imposera, pour la bonne raison qu’ils ne quittent pas la scène. Bien au contraire, leur nudité mise en scène leur tient lieu de serment. C’est pourquoi ils ne « blessent » ni n’ « offensent » ouvertement la pudeur ou le « sens esthétique et moral » et ne sont certainement pas « de mauvais augure » mais font preuve d’une résistance à toute épreuve, plus proche des pimpants célibataires mis à nu par la mariée (et des nus héroïques de la statuaire) que des victimes de l’horreur au quotidien.