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Florian Gaité

Pour Paris-art.com publié dans le dossier de presse de l’exposition Le Bleu du ciel, au Crac de Sète, 27 mars 2015

Le Bleu du ciel et Les Maisons grises

Pour sa monographie au Crac à Sète, Enna Chaton expose des travaux photographiques, principalement réalisés ces deux dernières années, qui établissent un lien performatif à l’espace. Dans les trois salles qui lui sont consacrées, la plasticienne confronte sa matière fétiche, le corps nu, à des mises en scène de studio ou à des paysages naturels, revitalisant avec humour la tradition du portrait.

Depuis près de vingt ans, Enna Chaton travaille le motif du corps nu, en photographie et depuis plus récemment en performance. La nudité n’y est pas sollicitée pour son potentiel libidinal mais comme un moyen de dépouiller les corps de leurs normes sociales et de produire des portraits désublimés, des instantanés d’une matière ordinaire, sans signification intrinsèque. Rendue à sa seule sensualité, cette corporéité mise à nu permet de jouer autrement avec les codes de l’intime, du désir et du collectif. Pour Le Bleu du ciel, Enna Chaton organise avec humour un parcours entre différentes mises en scène du corps nu, entre portrait naturaliste, composition abstraite et théâtre de l’absurde.

L’exposition s’ouvre sur une installation d’envergure, composée de vingt-neuf photos de grands formats, de la série Like a Waterfall Impressions laissées sans support, assemblées librement du sol au plafond, elles évoquent la forme d’une chute d’eau, avec son désordre, ses ondulations et sa verticalité. Chacun des portraits associe un corps nu vu de dos et un élément naturel minimal ( branche, pierres, terre, pignes ou bûches ), le tout sur fond noir, affichant une certaine froideur, une neutralité qui désamorce toute interprétation romantique. Le corps ne célèbre en effet aucun retour à la nature, pas plus qu’il n’appelle à une vision transcendante. Bien au contraire, les modèles sont rendus à leur trivialité, traités avec un réalisme brut qui n’épargne aucune imperfection ( ni les rougeurs de peaux, ni les marques d’élastique ).

Assis, accroupis ou à peine relevés, mais surtout de dos, ces simples corps incarnent des anti-portraits qui, à défaut de dire quelque chose d’une identité fixe, laissent imaginer des vulnérabilités, des pudeurs, des doutes anonymes, mais aussi une élégance, une simplicité ou une certaine quiétude. La cascade de photos mérite d’être appréciée sous toutes les coutures, à travers ses angles cachés ou en surplomb, depuis la mezzanine spécialement aménagée en ce sens.

En contrepoint, Drapeau, une photographie de 2014 représente une Marianne nue de face, plus queer que républicaine, portant un étendard fictif, qui déconstruit ironiquement les marqueurs de la symbolique officielle.

Cette distance amusée avec les normes de la représentation est plus prégnante encore dans les œuvres de la seconde salle. Dans ces clichés réalisés dans son atelier, Enna Chaton démontre à la fois ses talents de plasticienne et toute l’étendue de son ironie facétieuse. La salle, aux perspectives entravées, redessine le parcours de la déambulation spectatrice et les réflexes de lecture associés. Dans la série des Polygones et couleurs, certaines photographies deviennent de véritables sculptures, débordées par des architectures qui les supportent, prolongées par des volumes géométriques irréguliers qui en redéfinissent les dimensions, les positions et les chemins d’approche, tandis que les couleurs primaires, éclatantes, compensent la noirceur de leurs arrières-plans.

Les assemblages plastiques — ni photographie, ni sculpture — comme les portraits plus classiques qui associent un personnage nu à un volume appuient le contraste entre composition abstraite et figuration réaliste, et multiplient les références à la peinture, du monochrome aux bâtons d’André Cadere en passant par l’installation conceptuelle. Adossés, intégrés aux blocs ou inclinés, ces corps sont pris dans des positions improbables, coupés au cadrage ou subissent des changements d’échelle, faisant signe vers une singularité au-delà de leur dénuement.

L’utilisation des accessoires dans des mises en scènes plus recherchées fait ressortir l’artificialité de l’art. Enna Chaton use ici d’un ton plus amusé pour mettre en scène ces situations absurdes. Plus affectées que les portraits de «Like a Waterfall», ces allégories enfantines font signe vers la relation de confiance préalable que la photographe installe avec son modèle. Enna Chaton compte en effet sur une relation d’empathie pour que ses «collaborateurs» lui offrent une partie de leur intimité, au-delà de toute pudeur. Les modèles sont ainsi tous pris dans des poses naturelles, dans des attitudes ordinaires qui dédramatisent l’utilisation de la nudité mais surtout en empêchent toute idéalisation. Nivelant les rôles de l’artiste et du modèle, Enna Chaton se met elle-même en scène, parfois avec ses proches, comme dans la série Chantal et Enna. Les Filles du haut des Xettes, qui en est extraite, présente ainsi un portrait de famille exclusivement composé de femmes nues, panthéon matriarcal qui découvre aussi une généalogie de la féminité sur plusieurs générations.

La dernière salle est occupée par une projection centrale: une image fixe, qui se révèle être une photo et non un plan vidéo, est diffusée sur une toile tirée au centre de la pièce. Au-delà de mettre en scène le brouillage des genres picturaux et filmiques, on y trouve les trois éléments principaux de la pratique d’Enna Chaton: l’ouverture sur la nature, l’exposition du corps nu et enfin le rapport à l’altérité, au double. Sur les côtés, deux séries de photographies déclinent ce triple langage.

La première, Maisons grises, présente deux modèles masculins posant nus au milieu d’un chantier d’habitations, une manière d’opposer un corps naturel à des aménagements culturels, et de signifier la possibilité d’une déconstruction des identités. Face à eux, une série réalisée en Californie met en scène Enna Chaton dans un parc naturel, en pleine communion avec la nature, établissant des correspondances entre ses propres formes et les roches arrondies ou la silhouette très graphique de ces arbres monumentaux. Rejetée en fond de parcours, obstruée par l’écran central, la dernière œuvre, éponyme de l’exposition, conclut sur la prise de vue d’un ciel étoilé, comme une mise à nu des astres. L’aspect pictural de la photo, pourtant non retouchée, est particulièrement confondant: par lui, Enna Chaton jette un dernier doute sur la possibilité d’une distinction ferme entre vision naturaliste et représentation factice, comme si la mise en scène artistique, ici des corps dénudés, ne faisait que mettre en lumière un onirisme de la quotidienneté.

Patricia Fosse

lemouvement.info

L’Échappée Belle : un antre qui s’étend tout en longueur. Des centaines de livres rangés côte à côte y sont installés à portée de main et de découverte. Des petits coins et recoins où la pensée vagabonde et imagine volontiers un passage secret dissimulé vers une cinquième dimension de la connaissance. Sur la gauche, en cheminant vers le fond de la boutique, une galerie d’exposition, intimiste avec vue sur le jardin intérieur. Dans cet écrin blanc, à l’ambiance ouatée et intemporelle sont exposés les nus photographiés par Enna Chaton. Prononcez : Chaton comme un petit chat, et non à l’américaine, car l’artiste est bien française, résidente sétoise depuis de nombreuses années, même si elle a séjourné en Californie. Elle enseigne à l’École des Beaux-Arts.

De la Californie, Enna Chaton a rapporté des clichés extraordinaires, pris en dehors des sentiers balisés du parc national forestier. Une femme nue qui pourrait sembler fragile tant elle paraît minuscule, enlace de ses bras un séquoia géant et majestueux. Elle s’abandonne de tout son corps à cette étreinte. Deux forces, l’une humaine et l’autre végétale s’unissent entre terre et ciel.

Magie de l’artiste, transmettre la grâce. Sur d’autres photos, des corps se sont réappropriés leur état de nudité naturelle. Ils entretiennent une communication muette avec des étoffes, des matériaux naturels ou des formes artificielles colorées. Qu’ils soient partiellement ou intégralement nus, confiance et beauté s’en dégagent. Au centre de l’exposition sur le sol, une photo, un cairn, des feuilles mortes rendent hommage à un ami disparu. Des voilages imprimés dévoilent encore d’autres corps que plis et fluidité sculptent avec légèreté. Les modèles anonymes, d’âges et de morphologies variés semblent touchés par la grâce simple, d’exister. Magie que l’artiste a su leur transmettre, pour poser nu sans provocation, ni pudeur.

Jean-Paul Gavard-Perret

Pour le Salon littéraire l’internaute et Carnet d’art

Les abandons progressifs au désir

Enna Chaton propose une effraction de la conscience perceptive par le renouvellement du dispositif stratégique et en introduisant au sein de ses images un libertinage particulier : celui qui à la fois joue sur la séduction tout en décevant l’attente du voyeur. Certes la photographe et cinéaste ne pratique que le nu, aborde la question de la sphère de l’intimité, en une mise à nu des sentiments et des corps, dont elle explore avec finesse la beauté érotique. Mais la transgression est ici un jeu qui lève et complète l’interdit, sans pour autant le supprimer. L’artiste grenobloise capte les abandons progressifs au désir (en toute pudeur), les lâcher-prises, les glissements, les dérapages, l’intensité des expériences à venir, la présence de soi par l’autre (qui demeure hors champ). Un ignoré et une sensibilité du corps sont rendus visibles. Ce n’est plus seulement la façon dont le corps parle le désir mais la façon dont le corps exposé nous parle (rebelle au jeu qu’on veut habituellement le faire jouer) que l’artiste propose. Elle dissocie l’image du sexe par le sexe. Nous sommes désormais éloignés du côté « stimuli-réponse » que propose dans sa prétendue vérité de représentation la photographie et son poncif qui, selon Baudelaire, est : « un abus de mémoire…plutôt une mémoire de la main qu’une mémoire du cerveau ». (Janvier 2017)

JEAN-PAUL-GAVARD-PERRET

Pour salon-litteraire.linternaute.com

Enna Chaton : l’envers du libertinage

Il existe divers moyens de transgresser l’image. Toute une modernité tend à déplacer la position du spectateur et par là même du rôle de l’oeuvre comme révélateur d’attentes perceptives. Mais Emma Chaton propose une autre effraction de la conscience perceptive : non seulement par le renouvellement du dispositif stratégique mais en introduisant au sein de ses images un autre libertinage : celui qui ne joue plus sur la séduction mais la déçoit. L’artiste ne pratique  que  le nu, mais elle en décale le code esthétique. Il se dégage à la fois du libertinage qu’il soit léger ou outré. En un travail qui traite de la sphère la plus intime Enna Chaton se met souvent en scène en des photos et des vidéos qui ne provoquent pas une excitation sensuelle mais dérange. Un ignoré du corps est rendu visible. Ce n’est plus seulement la façon dont le corps parle le désir (qui n’est plus un « simple » désir sexuel) mais la façon dont le corps exposé nous parle, rebelle au jeu qu’on veut habituellement le faire jouer. L’artiste ne rend plus le voyeur prisonnier du leurre. Elle dissocie l’image du sexe par le sexe en n’hésitant pas à introduire (surajouter) des éléments incongrus à ses scénographies. Ils surenchérissent à abolition du mur qui sépare la femme de son image, la fille, la mère, le père des leurs. Nous sommes désormais éloignés du côté stimuli-réponse que propose dans sa prétendue vérité de représentation la photographie pornographique et son poncif qui, selon Baudelaire, est « un abus de mémoire… plutôt une mémoire de la main qu’une mémoire du cerveau ». 2014.

JEAN-PAUL-GAVARD-PERRET

Pour salon-litteraire.linternaute.com

Enna Chaton et l’image la plus nue : déliaisons dangereuses

Il existe divers moyens de transgresser l’image. Toute une modernité tend à déplacer la position du spectateur et par là même du rôle de l’oeuvre comme révélateur d’attentes perceptives. Mais Enna Chaton propose une autre effraction de la conscience perceptive par le renouvellement de dispositifs stratégiques (dans l’édition de ses livres, comme l’installation et la performance). Son (faux) libertinage (il en est de fait le contraire) ne joue plus sur la séduction . Il a bien d’autre chose à proposer dans la constante choisie par la créatrice : « Dès lors que l’on enlève ses vêtements, on se dévoile, on se montre tel qu’on est. C’est peut-être le moment où l’on est tous égaux. C’est un début pour faire autre chose » écrit-elle. En un travail qui traite de la sphère la plus intime Enna Chaton se met en scène et à nu sans – l’artiste insiste sur ce point – oeuvrer sur les interdits : « Je me mets à l’égale des autres, je suis dans un même état de fragilité. Ce qui est formidable quand on est nu dans un espace, c’est qu’on est très réceptif à la qualité de l’air, aux sons, aux matériaux qui nous entourent ». Elle rappelle aussi que la relation au corps et à la nudité est en mouvement constant par rapport à ce qu’on vit et traverse, et par rapport à l’évolution politique, sociale et esthétique d’une société. Un ignoré de l’être est donc rendu visible là où corps exposé parle loin du jeu que l’art veut habituellement le faire jouer par l’exhibition de la nudité. 

Les corps avec lesquels l’artiste « intervient » vivent, boivent, mangent, souffrent. Ils ont une odeur, une pilosité, des défauts. Et l’artiste parvient à ce qu’ils arrivent à montrer et assumer leurs formes, cellulite, rides, poils et sexe. Dès lors elle dissocie l’image du sexe fonction par le sexe organe, l’image de la nudité par la crudité l’artiste crée une dépossession et une reprise singulières. N’hésitant pas à être affublé d’éléments composites ou incongrus (le père de l’artiste affublé de phallus sur le front pour le travestir en faune ou clown d’un nouveau genre) la photographie abolit le mur qui sépare la femme, la fille, la mère, le garçon, le fils, le père de leurs «images». Et nous sommes éloignés du côté stimuli-réponse d’une image de nu qui selon Baudelaire, est : «un abus de mémoire…plutôt une mémoire de la main qu’une mémoire du cerveau». 

Surgit dans l’oeuvre, quel qu’en soit le genre abordé, un au-delà d’une image littérale. Corps en acte de marche ou figés en sorte de sculpture – comme dans la série Maisons grises où l’artiste revient à plusieurs reprises planter ses modèle – créent moins une narration qu’une posture. La froideur et la rigidité comme la souplesse et la densité soulignent la présence de l’individu, sa résistance. Il existe dans l’image la plus nue, la plus simple – donc la plus compliquée – une force d’érosion sociale et morale. Tout est monté en forme non de philosophie (dans le boudoir ou en pleine nature) mais de jeu. Il faut sans doute un beau courage à l’artiste pour oser un tel travail. Il n’illustre pas une thèse. Il fait mieux : le sexe devient autre, son sens est multiplié, non homogène. Se fonde un système poétique particulier. 2013.